Immobilier des
opérateurs:
l'exemple éclairant de VNF
Nous avons eu déjà l'occasion
d'aborder, il y a quelques mois (voir Société Civile n° 90),
l'épineuse question de l'immobilier des opérateurs. Ces derniers
ont défrayé la chronique en refusant pour certains de communiquer
le recensement complet de leur patrimoine immobilier au ministère
du Budget à l'automne 2008.
Éric Wœrth
avait dû leur imposer un ultimatum sous peine, pour les directeurs
de ces organismes retardataires, de se voir frappés d'une
réduction sensible de la part variable de leurs propres
rémunérations. Aujourd'hui, c'est chose faite et 95 % d'entre eux
ont rempli leurs obligations déclaratives. Parmi eux, Voies
navigables de France (VNF) qui constitue la seconde emprise
foncière des opérateurs de l'État - après l'ONF - avec un parc
immobilier de 0,235 million d'hectares. Mais cet organisme public
chargé de la gestion et du développement de la voie d'eau depuis
son institution en 1991, en lieu et place de l'ancien Office
national de la navigation, présente en matière immobilière une
situation particulièrement trouble, au point qu'un récent rapport
parlementaire évoque1 « un enchevêtrement des
responsabilités avec [son° ministère de tutelle tant en matière
de gestion des ressources humaines (...) que pour le
recensement des concessions portuaires». En réalité, la
situation est bien plus confuse. Explications.
VNF, un opérateur
particulièrement opaque quant à sa gestion immobilière
L' opacité de la
gestion immobilière de VNF réside dès la constitution de son
patrimoine. En effet, l'État a utilisé un procédé inédit
permettant d'attribuer à l'opérateur les 7500 km de voies
navigables 2
: il les a « confiées
». Cette « attribution » s'est réalisée à titre gratuit et il
n'y a donc eu aucune contrepartie pour l'État. Par ailleurs, aucun
dispositif de retour de ces biens à l'État n'a été prévu par le
législateur, conduisant à une totale dépossession de tout droit
de regard de France Domaine sur la gestion de ce parc immobilier et
foncier, pourtant toujours possédé par l'État en pleine
propriété. VNF n'a donc pas eu à porter ce patrimoine à son
bilan car il n'en a pas été doté et aucun arrêté de transfert
n'a été pris ni publié sur le sujet. Conséquence immédiate: la
valorisation de ce patrimoine reste inconnue.
Et pourtant, s'il n'en est théoriquement que le gestionnaire, VNF
dispose en pratique de ce patrimoine en « quasi-propriétaire »: il
en perçoit les produits d'exploitation, peut le valoriser et le
céder en respectant « presque» les règles classiques de la
domanialité publique. En matière de « déclassements » et de «
transferts» de biens gérés par VNF vers une personne publique ou
privée3,I'opérateur recouvre directement le produit de
l'opération... au nez et à la barbe de France Domaine et du budget
général de l'État. Ainsi, seuls les biens propres de l'opérateur
détenus en pleine propriété sont à l'heure actuelle inscrits à
l'actif de son bilan pour une valeur de 1,5 milliard d'euros en
2007. Le flou le plus complet persiste donc entre les biens «
confiés» par la puissance publique et gérés par l'opérateur
pour le compte de l'État et les biens propres dont il dispose.
A ce premier degré de complexité s'ajoute un autre problème:
déterminer ce qui relève des « biens confiés » à la gestion de
VNF et ce qui relève d'une gestion directe par l'État sur ses
propres biens. Si le transfert des voies navigables et de leurs
dépendances a été réalisé au profit de VNF, les biens immeubles
nécessaires à l'accomplissement des missions de VNF ont eux-mêmes
été répartis entre:
- les immeubles confiés à VNF (maisons de service n'abritant
pas d'agents de l'État, ateliers locaux, garages, parcs de
stationnement, locaux utilisés par des agents VNF, terrains
nécessaires à l'exercice de ses missions, ponts routiers dont la
gestion incombe à l'État),
- et les
immeubles mis à disposition de VNF mais qui ne sont pas confiés
(bureaux administratifs et locaux attenants, maisons de services
abritant des agents de l'État, ateliers et locaux non directement
affectés à l'entretien et l'exploitation de la voie d'eau, etc.).
VNF, un inventaire toujours au
point mort
On l'aura compris,
l'évaluation du patrimoine remis à VNF dans ces conditions relève
du tour de force. D'autant qu'en pratique, l' opérateur est appelé
à contribuer aux dépenses d'investissements, d'entretien et de
maintenance des immeubles à usage mixte (État/VNF) et ceux logeant
des agents de l'État et qui ne lui sont donc pas confiés. Une
situation qui s'explique car VNF dispose d'un effectif de 360
personnes en contrats de droit privé mais aussi de 4600 agents des
services de la navigation du ministère de l'Équipement mis à
disposition de l'opérateur à titre gratuit1 Et ce n'est
finalement qu'en 2000 qu'une circulaire a clarifié les conditions
d'interventions de l'opérateur quant à ces dépenses4.
Pendant ce temps, la
léthargie domaniale de France Domaine explique que la liste des
immeubles confiés à VNF nécessaires à l'exercice de ses
missions, que les ministres compétents devaient fixer par arrêté
dès 1992, n'ait pas encore vue le jour! Ce n'est qu'en 2005, soit
13 ans plus tard que VNF a finalement produit l'inventaire des biens
confiés. Aucune validation n'est intervenue par les services de
France Domaine. La fiabilité de l'opération est d'ailleurs soumise
à caution car aucune réconciliation entre l'inventaire inscrit
dans l'application de l'opérateur et les 26 000 lignes d'inventaire
inscrites au tableau général des propriétés de l'État (TGPE)
n'a pu aboutir, ce qui nécessite actuellement l'intervention d'un
prestataire de services extérieur. On comprend donc qu'aucune
remise en pleine propriété souhaitée par l'opérateur n'ait été
effectuée pour le moment par l'État car un très gros effort de
clarification des responsabilités immobilières et financières
s'impose.
VNF
apparaît pour l'heure incapable de s'insérer dans la politique
immobilière de l'État. D'abord parce que sans recensement fiable
et exhaustif de son patrimoine, il est impossible de lui imposer des
loyers budgétaires pour rationaliser ses bureaux (objectif d'un
ratio d'occupation de 12 m2/agent). Mais aussi en raison de
l'indépendance prise par VNF vis-à-vis de France Domaine,
incapable de s'imposer comme l'autorité légitime en matière de
stratégie immobilière des opérateurs. Dans ce contexte, c'est
finalement le contrôle général économique et financier, en la
personne de son chef de service Bernard Gaudillère, qui va
s'atteler à la tâche pour assainir la situation dans les plus
brefs délais.
Samuel-Frédéric
SERVIERE
|

|