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SEMAINE DU JEUDI 14 Juin 2007
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Lofts, Maisons flottantes, Quais branchés
Péniches nouvelle vague
Tellement chic. Vivre sur l'eau a longtemps été l'apanage de la bohème. Aujourd'hui,
c'est aussi celui des cadres sup, chefs de pub ou financiers. Qui contribuent à
l'inflation du coût des péniches. Car à peine débarqués sur les pontons, ces
nouveaux mariniers transforment leurs habitacles en lofts flottants. On s'y reçoit
entre gens du même quai. Avec l'envie d'en découdre avec les pouvoirs publics pour
défendre ses droits. Des bobos sur l'eau, tout simplement. Photos : Jean-Luc Bertini /
Picturetank pour ParisObs
Calfeutrées en contrebas des grandes artères, masquées par des remblais ou nichées au cœur d'îlots insoupçonnés, les berges franciliennes forment un univers
protégé. Un ensemble de villages flottants, à l'abri du tumulte. Et à portée de toutes
les infrastructures urbaines. Ce havre aux abords des villes agit comme un aimant sur
les cadres supérieurs : ils investissent d'anciens bateaux de plaisance convertis en
appartements sur l'eau. Depuis cinq ans, cette nouvelle vague, principalement installée sur la Seine, a
pris de l'ampleur. Elle a supplanté les précurseurs, artistes désargentés et marginaux qui avaient trouvé là un refuge aussi exotique qu'accessible.
« Une population démerdarde qui n'hésitait pas à braver les interdits . A se brancher
sur le réseau d'électricité comme elle pouvait , raconte Éric, un des pionniers,
installé pont de Puteaux depuis huit ans. Il y a peu, faute d'eau courante, on filtrait
la Seine, on utilisait des groupes électrogènes pour s'éclairer . »
Un temps révolu. Aujourd'hui, les nouveaux Robinsons travaillent dans la communication, la
publicité ou la finance. Eux ont civilisé ces péninsules. Paris, Ivry-sur-Seine,
Charenton-le-Pont ( 94 ), l'île Saint-Denis ( 93 ), Rueil ( 92 ), Bougival et Chatou (
78 ), Argenteuil ( 95 ) : ils en ont colonisé les rives, les ont enjolivées.
Comme les bobos ont investi l'Est parisien. Un libellé qu'ils récusent, même s'ils en
ont tous les atours : socialement favorisés, ils affichent un goût prononcé pour le
voisinage solidaire, la convivialité à tout-va, les collectifs de riverains, la
défense du patrimoine... Et leur présence
est synonyme de flambée des prix. « L'idée que les bobos font irruption nous
fait du tort, estime Tugdual, 43 ans, ancré à Puteaux depuis 2001.
Le côté gauche caviar
nous nuit. » Issu d'une famille bourgeoise qui le tient pour un fantaisiste, ce
gestionnaire d'actifs est pourtant le parfait reflet de la mue sociale à
l'œuvre sur les quais ( lire portrait plus loin
). Fabrice, amarré à Villeneuve-la-Garenne,
minimise le phénomène : la Seine-et-Marne compterait moins de nouveaux colons que
Paris et les Hauts-de-Seine. Mais sa rive est remplie de « dessinateurs ,
photographes, gens du spectacle... » La plupart de ces conquistadors, séduits par
le style de vie, sont aussi épris de leurs vaisseaux immobiles.
Eric, directeur dans une société de services, quatrième propriétaire d'un bateau années 30, estime
oeuvrer à la préservation d'un patrimoine qui a manqué disparaître. « Dans les années
50, la baisse du trafic a incité l'État à se débarrasser des péniches, par peur des
bateaux poubelles. Dédommagés , les mariniers ont aussi revendu leur bien en
sous-main », rappelle Bernard Kuntz, président de l'association Fauve, qui défend
l'habitat sur l'eau. « Nous sommes une part de la mémoire des villes,
martèle Eric. En
entretenant nos bateaux, nous tirons le patrimoine fluvial vers le haut.
»
Les prix aussi. Directrice de Seine Plus, une agence d'entretien des bateaux, Nathalie
Desbonnets a flairé le filon : il y a cinq ans, elle s'est spécialisée dans la vente de
péniches. Composée de chefs d'entreprise et de professions libérales, sa clientèle est de
plus en plus fortunée. Résultat : pour un particulier, attraper dans ses rets une
barge à 150 000 € est devenu une gageure. A Paris et dans le 92, les départements les
plus prisés, « une péniche achetée 500 000 € en 2002 peut facilement se revendre 750 000€
»,
prétend-elle, sans doute tentée de gonfler les ardoises. Dans l'Essonne, il faut
débourser 300 000€ pour un modèle Freycinet. Du coup, de nombreux particuliers transitent
par la Hollande, vivier de chalands vendus 160 000€. Sage choix. Car ces coques de
métal, véritables gouffres financiers, nécessitent plus d'entretien que la pierre.
Et, surtout, leur statut est précaire. Le stationnement est sans cesse menacé par
Voies navigables de France ( VNF ), tutelle qui dépend du ministère des Transports.
Depuis sa création, en 1991, cette autorité scinde les quais en deux camps. D'un côté
les résidents légaux qui s'acquittent d'une redevance mensuelle, de 200€ à
700€, selon la
taille du bateau et sa localisation. Une permission éphémère, renouvelable tous les
cinq ans. De l'autre, les « illégaux », déboutés pour d'obscures raisons : aucun
critère d'attribution clair n'existe. Pourtant, les « illégaux » doivent eux aussi
s'acquitter de la redevance. En contrepartie, ils n'ont aucun droit. Sauf
celui d'être poursuivis en justice par VNF pour emprise sur le territoire public.
Kafkaïen. Selon les associations, une flotte de 500 péniches est victime de cet
arbitraire, sur les 1 300 que compte la région parisienne, la plus pourvue en
France. Et la nouvelle loi sur l'eau n'arrange rien ( lire page 12 ) . De quoi
raviver l'incompréhension des « pénichards » excédés. Des berges, réputées idylliques,
monte plus qu'une colère. Un ras-le-bol. Un tsunami citoyen.
Isabelle Curtet-Poulner
Paris Obs
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Les nouveaux Robinsons
Solo et écolo
Masquées par la voie rapide du boulevard Kœnig, les péniches
échappent aux regards.
Seul indice : le long du quai, des boîtes aux lettres et des
portillons discrets s'égrènent. Leurs allées privatives mènent
à un havre de lofts flottants réservés aux bourgeois les plus
atypiques de Neuilly-sur-Seine. C'est là que Christine, 50
ans, très femme d'affaires, vient d'acheter la péniche d'une
octogénaire pour 330 000 €. Au terme des travaux
qu'elle a entamés, elle disposera de 130 m2, agrémentés de 70 m2 de terrasse. Avec une vue de
rêve : à gauche, la Seine bordée de verdure ; à droite, les
tours de la Défense, où cette cadre supérieure travaille.
Champs et mégalopole. « En ville,
précise-t-elle, j'aurais eu moitié moins. » Sur le
bateau,
elle a tout modifié : « Je ne suis pas manuelle. Il fallait
que ce soit impeccable. Des amis, installés sur l'eau depuis vingt ans, m'ont aidée
à trouver l'entrepreneur et l'architecte . » Ce dernier lui a
concocté une péniche écolo : « Chauffage par panneaux
solaires , pompe à chaleur, plancher chauffant, clim...
Tout sera développement durable et entièrement insonorisé . Un pont-levis , actionné
depuis le loft, m'épargnera l'inquiétude
des cambriolages . » Ultime détail : pas question de
changer ses habitudes vestimentaires sous prétexte d'exil au
vert : « Vivre à la campagne oui, renoncer aux talons
jamais. L'architecte a pensé un parquet adéquat . » Un
chantier de 300 000€ « Je craignais de faire un
mauvais investissement . On m'a assuré que je ne risquais
rien. Je ne ferai peut être pas de plus-value , mais je ne
perdrai pas d'argent ."
I.C.-P.
Le pionnier
«Je suis un vieux marinier d'opérette . » Etienne, 65 ans,
peintre, ancien de la pub, est un précurseur : il vit sur
l'eau depuis trente ans. A l'époque, une petite
annonce l'attire : « Péniche à vendre, à Neuilly
». « Dans les années 70, ça ne valait rien. Vivre sur
un bateau ne se faisait pas. Les quais des Hauts-de-Seine
étaient vides. » Amarré pont de Puteaux, ce Robinson
vit aujourd'hui sur un bateau-loft de 200 m2, avec atelier
de peinture au sous-sol, ponton et terrasse. Au fil des ans,
il a vu les riverains changer. « Jusque dans les
années 90, d'autres générations peuplaient les rives,
raconte-t-il. Des types plus jeunes, plus marginaux, des
artistes. A présent , ça s'égalise vers le haut : les
péniches sont remplies de bobos. » Des recrues avides
de se ressourcer à l'ombre des poncifs du coin : nature,
indépendance et convivialité.
Cette communauté vit abritée derrière les courts de tennis,
piscine et terrain de golf aménagés là par la municipalité.
« On peut faire le bruit qu'on veut, jouir de la lumière
du fleuve. La Seine c'est très vivant » , s'enflamme
Etienne. Un éden aux portes de la ville. Avec sa compagne,
styliste, ce contemplatif aime l'idée
de pouvoir se déplacer. Même si, dans les faits, rares
sont ceux qui lèvent l'ancre. L'ambiance des rives cloue sur place.
"Ici la convivialité est
de mise : « Il faut même parler de connivence. Logique. Avoir
une barque est une obligation légale. Du coup, le soir,
on passe d'une péniche à l'autre. On se fait héler pour
l'apéro , on organise des grillades. Nous partageons le
même esprit d'être en différence." Et de nivellement
par le haut.
Les magiciens de l'Algeco
Vue du quai, elle ne paie pas de mine. Pour s'en approcher,
il faut même cheminer le long d'un vilain
petit souterrain. Mais dès qu'on franchit la
porte blindée, la maison flottante de Jean-Jacques et de
son épouse Dominique, dans le 16e, se fait décor de magazine. Parquet en teck, meubles design,
style épuré, le tout est encadré de balcons et
de terrasses. Les baies vitrées s'étalent sur les trois
côtés d'une pièce de 100 m2. Près de l'entrée, un
escalier moderne mène au niveau inférieur où s'alignent des
chambres spacieuses agrémentées de hublots. A
une extrémité : la buanderie, qui accueille
une mini-station d'épuration. De l'autre côté
: dressing et... cave à vin ! Jean-Jacques, haut
fonctionnaire fan de voile, a racheté cette barge, ce «
ponton » comme il dit, à la célèbre école des Glénans en
1988. Pour y organiser des transats, avec quelques
amis journalistes. En 2003, il décide, à 50 ans, de s'y
installer avec femme et enfants. « Le bâtiment est assez
génial, glisse-t-il. Personne ne nous voit. Qui pourrait
imaginer qu'on vit dans une maison de 260 m2 sur trois
niveaux ? Pour rien au monde on ne retournerait sur la terre
ferme. - Bien sûr, il faut payer 500 € de redevance
chaque mois. S'habituer au léger roulis. Et composer avec
les odeurs ponctuelles de barbecue en provenance du bout de
quai tout proche, où squatte parfois un SDF".
Quelques désagréments qui paraissent bien modestes
à Dominique, blonde quadra au chic décontracté : « Le
lieu est magique, la vue imprenable .
Dès le petit déjeuner , depuis la cuisine américaine , on
est aux premières loges pour le ballet des péniches . » La
famille est devenue incollable sur les Freycinet, Luxemotor,
péniches hollandaises, ces différents modèles de bateaux qui
se croisent sous leurs fenêtres, acheminant touristes,
charbon ou conteneurs. Celui qui fait le plus de vagues ? « La
vedette de Bercy qui transporte ... le ministre de l'Économie
matin et soir. »
Isabelle Curtet-Poulner, Lise Martin
Paris Obs
Les berges de la colère
La grogne enfle contre les Voies Navigables de France, accusées d'entretenir le flou
dans les autorisations. Les résidents, dont seule une minorité est en règle, réclament
un vrai statut.
« Arbitraire, intimidation, répression » :
les pénichards n'ont pas de mots assez durs pour évoquer leurs rapports avec Voies
Navigables de France, l'instance souveraine qui attribue les conventions d'occupation
temporaire. Moyennant 100€; à 700€; par mois, ce sésame autorise ses
rares détenteurs à s'amarrer durant 5 ans.
Un statut précaire. « Et des critères d'attribution flous », selon Bernard
Kuntz, président de Fauve, Fédération des Association et
Usagers de la Voie d'Eau. « Il y a des zones
dangereuses ou à intérêt portuaire, classées rouge », justifie Emmanuel Mercenier, directeur
adjoint du service navigation de VNF. Aucune carte ne les liste. Et rien n'est fait pour
créer des places pérennes. Résultat : les installations sauvages se multiplient. Seuls
30 % à 50 % des occupants sont en règle. A Paris, sur 119 résidents, 67 ont un titre.
Les autres sont hors la loi, « faute de places », plaide VNF. Un prétendu manque
d'anneaux qui ne les empêche pas d'être amarrés. Ni de s'acquitter de la redevance :
« On paie pour ne pas avoir le droit d'habiter notre bateau », râle l'un d'eux.
Christian Duguet, président de l'ADHF-F ( fédération des associations de défense de l'habitat fluvial ), incite les résidents à
rejoindre les 200 demandeurs inscrits sur la liste d'attente de VNF. Un chiffre
surprenant : en Ile-de-France, plus de 600 barges sont en infraction, donc en quête de
place. « Bidon, coupe François Saint-Cast, un propriétaire en règle mais solidaire.
Tout illégal est rayé de la liste. » Et la dérive continue : attaqués devant le
tribunal administratif par VNF, les illégaux essuient de lourdes condamnations : ils
doivent quitter les eaux. « Inepte, insiste Saint-Cast. Ça implique d'abandonner son
bateau. Ou de le déchirer , destruction qui coûte au bas mot 50 000€. » A défaut,
les familles encourent 150€ d'astreinte par jour de retard. Comme Alain,
ancré dans le 92 et condamné à 160 000 € : « Je risque la faillite : une
véritable épée de Damoclès . » Pour plus de lisibilité, VNF s'attelle au « zonage » des
rives. Ce recensement n'a jamais été fait. « Nous venons de créer un pôle logement, dit
Emmanuel Mercenier. Le traitement actuel est trop complexe. » Sur les berges, la grogne monte, ravivée par
la loi sur l'eau de décembre, qui double la redevance des illégaux. Et confie au maire
le soin d'autoriser ou non les bateaux. « De quoi mettre des gens dehors
», prévient
Fauve. « Les maires joueront le sort des habitants sur un coup de dés, renchérit
l'ADHF-F. Ils pourront maintenir une famille ou la ruiner. » Même les légaux sont menacés. Inquiets, les
résidents réclament un vrai statut : « On est en pleine crise du logement. Il reste
des zones libres, pourquoi ne pas les légaliser ? » La loi a radicalisé leur
position. « Ça va péter , promettent-ils. On est des vaches à lait. Vivre sur l'eau ,
c'est comme déchirer 100€ sous la pluie. Il faut avoir la passion chevillée au
corps. » Et des finances solides. Redevance, entretien, vignette, assurance...
le budget mensuel d'une péniche frôle les 2 000€. Un gouffre.
I.C.-P.
À la recherche d'un statut
"Évoquer notre vie
idyllique, c'est faire fi du joug de VNF, démarre
François Saint-Cast président de l'Association des bateaux
de Puteaux-en-l'Ile. Tout ça pour une emprise des péniches de 6,5 km, sur un domaine fluvial de 3 000 km. Soit 0,2 % ! Nous voulons le statut de logement. Un
plan d'occupation des berges pourrait prévoir un pourcentage dédié à l'habitat.
Une façon de contrer les implantations sauvages. Et la spéculation : une minorité (
5 % ) place des péniches tampons dans des zones susceptibles d'être régularisées. Au
lieu de régler cela, la loi sur l'eau menace 1 300 familles franciliennes, rattachées aux
communes où elles votent, et où leurs enfants sont scolarisés. Si leur place n'est
pas renouvelée, que feront-elles ? Elles sont à la merci du maire et de VNF, dont le
statut hybride d'établissement public à caractère industriel et commercial ajoute à
la confusion. Pourquoi autoriser des barges qui rapportent deux fois plus dans
l'illégalité ?"
I.C.-P.
Bateau pirate
C'est un quai bohème, où cohabitent un musicien, un photographe, un plasticien. Et Céline, la trentaine, créatrice de bijoux.
Elle est installée avec son fils sur une maison flottante meublée de récup', en face
des usines Renault de Boulogne-Billancourt (92 ). « Je suis en zone rouge, c'est-à-dire
totalement interdite , raconte la brune brindille. Mais je n'ai pas vraiment eu le
choix. Je ne savais pas où mettre mon bateau. » Chaque mois, elle doit débourser
200€ pour la redevance. « C'est là toute l'hypocrisie du système,, se lamente-t-elle.
On paie pour un emplacement illégal ! En gardant l'impression d'être des pirates...
»
Depuis plus de cinq ans, Céline est inscrite sur la liste d'attente du Port autonome, et
garde l'espoir qu'on lui attribue un autre secteur pour s'amarrer. Ses voisins ne sont
pas tous aussi patients : le musicien a décidé de déménager sa péniche à 80 km de
Paris : « Dès qu'il aura levé l'ancre , un autre bateau le remplacera illico. »
Isabelle Curtet-Poulner, Lise Martin
Paris Obs
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La vie à bord : récits houleux
Le portefeuille et la bricole
Avant de battre pavillon seine-et-marnais, il a écumé les rives de Boulogne, Saint-Cloud (
92 ), Charenton ( 94 ). Il s'est aussi égaré à Draveil ( 91 ) sur l'île aux Oiseaux, « une réserve naturelle », très au-dessus de
ses moyens. Finalement, Fabrice, 34 ans, directeur de recherche et développement d'une société informatique, a jeté l'ancre à
Villeneuve-la-Garenne ( 92 ), et son dévolu sur une péniche de 160 000€. « Un
Freycinet construit en 1929. » Soit 140 m2 d'appartement et 180 m 2 de terrasse, calés « à 10 minutes des Champs », dans un cadre
qui mêle nature et industrie. D'après lui, ne vit pas sur l'eau qui veut : « Il faut
avoir de l'argent ou être bricoleur. » Fabrice, qui a dépensé 50 000€ en travaux, soude à l'arc électrique et manie
la meuleuse. Indispensable savoir-faire : « Il y a souvent des joints qui se déchirent
ou des fuites du fait des différences de température saisonnières . »
Autre contrainte : le contrôle technique. Tous les dix ans, la coque doit être
vérifiée. C'est la sortie en cale sèche jusqu'au chantier naval de Gennevilliers, et
le cauchemar des occupants. Coût de l'opération, de 3 000 à 5 000€. A quoi
s'ajoutent 200€ par mois de redevance d'occupation des berges. Fabrice paie aussi
sa liberté fluviale : pour s'adonner à son hobby, les balades en Zodiac, il a dû passer
son permis, s'acquitter de la vignette et se doter d'une « very high frequency », le
talky des bateaux, indispensable en cas de détresse. Evry, Conflans-Sainte-Honorine,
Rueil, Argenteuil : il a immortalisé les berges. Ses photos sont en ligne sur
habitat fluvial. free. fr
Réservoir à touristes
"Pas de grille, pas de code, pas d'ascenseur » : Victoria vante le côté pratique de la
vie de bateau . Hervé, lui, disserte allègrement sur leurs voisins
les cygnes, canards et ragondins : « Une fois sur le quai, on a l'impression d'être
hors de la ville. » Elle est restauratrice,
lui, consultant en ressources humaines. Ils sont installés sur une péniche Freycinet
depuis cinq ans, près de la tour Eiffel ( 7e ). Un emplacement idéal, plébiscité par
leurs copains pour les feux d'artifice du 14-Juillet.
Revers de la médaille : la redevance mensuelle s'élève à... 700 €. Et le week-end, les cars déversent leur flot de touristes, prêts à s'embarquer sur les
bateaux de réception alignés sur le quai voisin. « Parfois, le parking est tellement
bondé que l'accès chez nous reste bloqué jusqu'à 3 heures du matin, déplore Victoria.
Impossible de faire venir le samu ou les pompiers en cas de besoin. Ça nous inquiète
, à cause du petit. » Giuseppe a 6 mois. Imperturbable, il se laisse bercer par le roulis, bien
perceptible à Paris, circulation fluviale oblige. Giuseppe partage sa nounou avec un
autre bébé-péniche, à trois anneaux de là. « La communauté du quai joue à plein, raconte
Hervé, quadra en jeans-Converse. Si on part en vacances , les voisins surveillent la
péniche . Du coup, aucun problème de cambriolage. » Tout juste quelques soucis
avec la gare RER toute proche, d'où sont parfois expédiés cailloux et bouteilles. «
Rien de terrible. » La préoccupation du moment, c'est la peinture.
« Même si on redonne un petit coup chaque année , on n'échappe pas au grand
ravalement, tous les cinq ans. »
Sécurité enfant
"On ne joue pas près de l'eau » : chez les Kerautem, c'est le leitmotiv. Pour
Tugdual, père de deux enfants de 7 et 10 ans, veiller à leur sécurité est la principale contrainte
à bord. « Un enfant qui tombe à l'eau , on ne le récupère pas, dit-il. Il faut être
sévère et leur interdire formellement défaire le tour du bateau.
»
Un risque colmaté par des détails d'aménagement. A bord, tous les verrous sont
à hauteur d'adulte. Dans les chambres, seuls s'ouvrent les petits hublots, qui ne permettent aucun passage. Sa péniche, Tugdual l'a achetée 46 000 € à d'anciens mariniers « trop vieux pour s'en
occuper », en 2001. Une aubaine. Pour agencer ces 150 m
2, il a fait appel à des spécialistes. Et
s'est investi pendant deux ans à raison d'un week-end sur deux. «
On n'est pas des
privilégiés : on s'implique . Il faut sans cesse bricoler, repeindre et nettoyer,
toujours nettoyer. Prendre soin de ce patrimoine. Un peu comme si on vivait dans
un jardin commun. »
I.C.-P.
Attention, risques de crues
C'était juste après le 31 décembre et la tempête de 1999.
Parvin, prof, et Olivier,
céramiste, recevaient leurs neveux et nièces. « Vers minuit, on a chaussé nos bottes et on
est tous partis, en courant le long des quais, pour se mettre à l'abri . » Les crues
sont leur hantise. Et ils ne comptent plus, depuis vingt ans qu'ils sont amarrés dans le
7 e, les hivers où ils ont été obligés de déménager en urgence.
Parvin, joviale
Britannique de 56 ans, se souvient : « On se faisait héberger par la famille à
Soisy-sur-Seine ( 91 ), quand les enfants étaient petits. Pas très pratique pour les
amener à l'école le matin. » Depuis, la famille a acheté un petit pied-à-terre dans
le 5 e pour s'y réfugier en cas de besoin. Parvin croise les doigts :
« On est tranquilles depuis deux ans, le niveau de la Seine a peu bougé . » Et
conclut, philosophe : « L'avantage des crues, c'est qu'elles créent une vraie
solidarité entre les habitants des quais. On est bien obligés de s'entraider. »
Lise Martin
Isabelle Curtet-Poulner, Lise Martin
Paris Obs
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