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Immobilier de prestige

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S’offrir une péniche
Un fantasme qui n’est pas un long fleuve tranquille
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Liberté, charme, originalité. Nombreux sont les qualificatifs associés
au rêve de vivre sur une péniche. Mais pour atteindre le Graal, la
course d’obstacle se révèle ardue. A l’achat, la bonne affaire est
rare, sauf à s’offrir une coque de noix nécessitant 10 ans de travaux.
Au niveau réglementaire, la vie sur l’eau n’est pas un long fleuve
tranquille, bien au contraire. La pénurie d’emplacements peut même
transformer le rêve en cauchemar. La faute à une réglementation souvent
drastique, parfois opaque.
Certains l’appellent le XXIe
arrondissement de Paris. Celui qui alimente sans doute le plus de rêves
et de fantasmes. Ce “nouveau” quartier, c’est la Seine. Son offre
immobilière : des bateaux-logements, vieilles péniches pour
l’essentiel. Ses habitants : des déçus de la vie urbaine
traditionnelle qui ont osé franchir le Rubicon. A la poursuite de quoi ?
Une superficie, d’abord. 145 mètres carrés à vivre sur une
embarcation type Freycinet, un Graal hors de prix sur la terre ferme, plus
abordable sur les flots. Un emplacement, ensuite. S’amarrer au pied de
Notre-Dame ou de la Tour Eiffel, et prendre le petit-déjeuner sur son
pont-terrasse en admirant la Conciergerie, c’est possible. Un mode de
vie, enfin, entre sentiment de liberté, plaisir de l’originalité, et
proximité avec la nature.
“Vivre sur l’eau en plein centre-ville, c’est merveilleux !”
s’exclame Jean-Paul Dumontier, membre de l’association Promofluvia, axée
sur la valorisation des voies d’eau, et résident à Lyon sur les berges
de la Saône, niveau place Bellecour. Ce qui lui plaît, “bouger un peu,
en permanence, au gré des remous, ne pas avoir de voisins directs”,
affirme celui qui assure “ne plus pouvoir se passer de ce style de
vie”. Même discours chez Bernard Kuntz, mais situation différente.
Amarré depuis 1968 à Soisy-sur-Seine, au sud de la Capitale, le président
de la Fédération des associations et usagers de la voie d’eau (Fauve)
a fait le choix d’une implantation hors agglomération.
“Le plaisir, c’est l’eau, la nature, l’air pur. Ce n’est pas
un hasard si beaucoup d’habitants de bateaux-logements travaillent dans
des milieux confinés – du personnel naviguant sur les avions notamment.
Sur leur péniche, ils peuvent respirer.” Respirer, et se balader. Car
à condition d’avoir un permis et un moteur en bon état, rien n’empêche,
a priori, de détacher les amarres le week-end pour aller naviguer au fil
de l’eau. Voilà pour le rêve. Mais en grattant le vernis, on s’aperçoit
que celui-ci a un prix. Et que la désillusion n’est jamais bien loin.
De l’achat au respect de la réglementation en passant par
l’entretien, vivre sur l’eau s’apparente souvent plus à une course
d’obstacle qu’à un long fleuve tranquille.
Pénurie d’offres
Premier dilemme, l’implantation. En ville, les places sont rares. Donc
chères. La liste d’attente établie par Voies navigables de France
(VNF) est implacable : 200 inscrits s’y bousculent. Et franchir ce cap,
c’est passer dans le chas d’une aiguille : “Dans Paris intra muros,
une place se libère tous les 20-25 ans. En petite couronne, c’est une
tous les 15-20 ans, et en grande couronne tous les 5-10 ans” énumère
Claude Denet, responsable du service du développement et des affaires
domaniales à la direction interrégionale du bassin de la Seine de VNF.
Des chiffres qui amènent à une conclusion simple.
“Aujourd’hui, acheter une péniche brute et l’aménager n’est
plus possible à Paris, car il n’y a plus de place. Il faut donc acheter
un bateau déjà installé et rattaché à un emplacement” affirme
Nathalie Desbonnets, directrice de l’agence Seine-Plus. Autre solution,
s’installer sur des rives moins prisées où joncs et frênes continuent
de régner en maîtres. Là, la place ne manque pas. Ou manque moins. Mais
un autre défi attend les Robinsons : la viabilisation des lieux. Exit le
rêve du transat au soleil, un livre à la main. Place à la bêche et à
la scie.
“J’ai dû planter des arbres pour tenir la berge, aménager le
chemin pour venir jusqu’ici, et amener moi-même onze poteaux EDF pour
électrifier…” se souvient Bernard Kuntz. Un travail de titan sur
plusieurs années. Un rocher de Sisyphe, aussi, car la berge dégringole
et recule en permanence à cause du batillage – les vaguelettes dues au
passage des bateaux. Il faut donc toujours planter et replanter. Le
farniente sentirait davantage la sueur que prévu.
Le choix du bateau n’est pas non plus de tout repos. Moteur ou non ?
Neuf ou ancien ? Aménagé ou coquille vide ? Autant de questions qui vont
influer sur le prix et le confort du bateau, ainsi que la qualité de vie
à son bord. Pour le président de la Fauve, “trois catégories de
bateaux sont à distinguer. Les navires aménagés, dont la mise en vente
est très rare car leurs habitants, en règle générale, s’y sentent très
bien et ne veulent pas les quitter. Ensuite, les bateaux de transport de
mariniers qui partent à la retraite, souvent des péniches type
Freycinet. Seule la cabine – d’environ 10 mètres carrés – y est
habitable en l’état. Et enfin des bateaux dont les habitants veulent se
séparer à tout prix, souvent parce qu’ils n’ont pas d’autorisation
de s’amarrer.”
Une quatrième famille est à mentionner : les maisons flottantes
neuves, dessinées par des architectes, et présentant toutes les
garanties et le confort requis. Dans chaque cas, les prix peuvent varier
du simple au quintuple. Et, sauf cas exceptionnel, la fameuse “bonne
affaire” est un mythe. Acheter une coquille de noix en moyen état se révèle
abordable : 100 000 euros environ pour 150 mètres carrés. En très
bon état, la facture peut s’élever à 300 000 euros. Ce à quoi
il faut ensuite ajouter le coût des aménagements à bord afin de la
rendre viable. Et là encore, les travaux d’Hercule sont à prévoir.
Couler une dalle au fond de la cuve, lester l’embarcation pour gagner en
tirant d’eau et la stabiliser, poser des doubles cloisons, mettre au
point un système d’aération…
Pénurie d’offres
Premier dilemme, l’implantation. En ville, les places sont rares. Donc
chères. La liste d’attente établie par Voies navigables de France
(VNF) est implacable : 200 inscrits s’y bousculent. Et franchir ce cap,
c’est passer dans le chas d’une aiguille : “Dans Paris intra muros,
une place se libère tous les 20-25 ans. En petite couronne, c’est une
tous les 15-20 ans, et en grande couronne tous les 5-10 ans” énumère
Claude Denet, responsable du service du développement et des affaires
domaniales à la direction interrégionale du bassin de la Seine de VNF.
Des chiffres qui amènent à une conclusion simple.
“Aujourd’hui, acheter une péniche brute et l’aménager n’est
plus possible à Paris, car il n’y a plus de place. Il faut donc acheter
un bateau déjà installé et rattaché à un emplacement” affirme
Nathalie Desbonnets, directrice de l’agence Seine-Plus. Autre solution,
s’installer sur des rives moins prisées où joncs et frênes continuent
de régner en maîtres. Là, la place ne manque pas. Ou manque moins. Mais
un autre défi attend les Robinsons : la viabilisation des lieux. Exit le
rêve du transat au soleil, un livre à la main. Place à la bêche et à
la scie.
“J’ai dû planter des arbres pour tenir la berge, aménager le
chemin pour venir jusqu’ici, et amener moi-même onze poteaux EDF pour
électrifier…” se souvient Bernard Kuntz. Un travail de titan sur
plusieurs années. Un rocher de Sisyphe, aussi, car la berge dégringole
et recule en permanence à cause du batillage – les vaguelettes dues au
passage des bateaux. Il faut donc toujours planter et replanter. Le
farniente sentirait davantage la sueur que prévu.
Le choix du bateau n’est pas non plus de tout repos. Moteur ou non ?
Neuf ou ancien ? Aménagé ou coquille vide ? Autant de questions qui vont
influer sur le prix et le confort du bateau, ainsi que la qualité de vie
à son bord. Pour le président de la Fauve, “trois catégories de
bateaux sont à distinguer. Les navires aménagés, dont la mise en vente
est très rare car leurs habitants, en règle générale, s’y sentent très
bien et ne veulent pas les quitter. Ensuite, les bateaux de transport de
mariniers qui partent à la retraite, souvent des péniches type
Freycinet. Seule la cabine – d’environ 10 mètres carrés – y est
habitable en l’état. Et enfin des bateaux dont les habitants veulent se
séparer à tout prix, souvent parce qu’ils n’ont pas d’autorisation
de s’amarrer.”
Une quatrième famille est à mentionner : les maisons flottantes
neuves, designées par des architectes, et présentant toutes les
garanties et le confort requis. Dans chaque cas, les prix peuvent varier
du simple au quintuple. Et, sauf cas exceptionnel, la fameuse “bonne
affaire” est un mythe. Acheter une coquille de noix en moyen état se révèle
abordable : 100 000 euros environ pour 150 mètres carrés. En très
bon état, la facture peut s’élever à 300 000 euros. Ce à quoi
il faut ensuite ajouter le coût des aménagements à bord afin de la
rendre viable. Et là encore, les travaux d’Hercule sont à prévoir.
Couler une dalle au fond de la cuve, lester l’embarcation pour gagner en
tirant d’eau et la stabiliser, poser des doubles cloisons, mettre au
point un système d’aération…
Une redevance au montant variable, fruit d’un savant calcul. Nathalie
Desbonnets : “A Paris, la longueur du bateau multipliée par sa largeur
établit une surface occupée, qui est elle-même multipliée par un
coefficient prenant en compte la localisation du navire, calculé à
partir de sa proximité avec la Tour Eiffel. Les équipements de la péniche
entrent également en ligne de compte”. De quoi donner des “loyers”
par mois très disparates. Un bateau de 33 mètres de long va payer en
moyenne entre 700 et 750 mètres carrés dans Paris intra muros, une somme
qui pourra cependant exploser dans le cœur historique de la Capitale. A
Boulogne-Billancourt, la somme s’élèvera à 400 euros environ, et
la facture descendra à 75 euros à Saint-Germain-en-Laye. Hors de
Paris, même principe, mais des montants moins élevés.
“Au niveau de la place Bellecour, sur la Saône, je paye autour de
200-300 euros par mois” témoigne Jean-Paul Dumontier. Mais moins
que les prix, c’est la difficulté d’obtenir une COT qui ulcère les
amoureux de bateau-logements. “Depuis 1991, pas une seule place n’a été
créée par VNF !” tonne Bernard Kuntz. “Pour obtenir une COT, il faut
attendre 30 ou 40 ans” renchérit Wandrille Lebéfaude. Montré du
doigt, VNF se défend : “Depuis 2006, le Code général de la propriété
des personnes publiques (CGPPP) stipule que la création d’une zone de
stationnement de plus de 30 jours doit résulter d’un avis positif du
maire de la commune concernée. Nous avons donc proposé aux maires toutes
les zones existantes. Et s’ils ont validé toutes les COT déjà en
vigueur, ils n’en ont quasiment pas créé de nouvelles” explique
Claude Denet.
Un argument valable… pour les six dernières années seulement ! Pour
l’agent de VNF, d’autres raisons sont aussi à prendre en compte :
“On ne peut pas créer des bateau-logements partout ! Déjà, sur les
fleuves, de nombreuses zones sont interdites : les courbes, sous les
ponts, la proximité des ouvrages d’art. Ensuite, le linéaire se
partage. Et n’oublions pas que l’usage prioritaire, c’est le
transport des personnes et des marchandises. A Paris et en petite
couronne, on compte encore de nombreux ports industriels. Une partie du
tracé est donc réservée aux bateaux industriels et de commerce. Et
puis, créer un emplacement représente beaucoup de contraintes : il faut
y amener l’eau, l’électricité…” A cet immobilisme, les
“plaisanciers” ont trouvé un début de parade, en lisière de la réglementation.
Si officiellement, la COT est incessible, officieusement, elle se vend
avec le bateau.
“Un bateau de 300 mètres carrés en plein Paris se vend, selon son
état, ses équipements, son niveau de prestige, entre 500 000 euros
et 1,5 million d’euros. Dans cette somme, un tiers correspond au
navire en lui-même, et deux tiers à la COT” confie un professionnel du
secteur. Dans ces conditions, s’offrir une péniche en “rachetant”
la convention devient déjà plus envisageable. “Environ 10 % du
parc se renouvelle chaque année en région parisienne” affirme en effet
Nathalie Desbonnets. Reste bien sûr la possibilité d’un amarrage
sauvage. Au risque, une fois repéré, de payer par mois le double de la
redevance traditionnelle, de s’acquitter d’une astreinte journalière,
et de se retrouver assigné au tribunal. Mais même en règle, la COT fait
toujours frémir.
“Par définition, elle est temporaire. Et lorsqu’on s’est endetté
pour acheter un bateau, on a toujours une épée de Damoclès au-dessus de
la tête, car du jour au lendemain, on peut nous la retirer. C’est assez
difficile à vivre, surtout lorsqu’on a une vie de famille” témoigne
Letizzia Macci, résidente d’une péniche. Radeau de la Méduse version
2012 ? Un scénario catastrophe que conteste Claude Denet, de VNF.
“Cette situation ne s’est jusqu’ici pas produite une seule fois !
Sauf si l’habitant ne respecte plus les clauses de la convention, en arrêtant
de payer sa redevance, par exemple. C’est un mauvais procès que l’on
fait à VNF : rappelons que la COT n’est prévue que pour une durée de
5 ans, et que certains habitants vivent sur le même emplacement depuis 40
ou 50 ans !” Autre grief des usagers : l’opacité qui entoure la
gestion et les règles d’attribution des places. Notamment à propos de
la fameuse liste d’attente.
“Théoriquement, elle est consultable, mais dans les faits ça
n’est pas le cas. On ne sait pas où elle est, ce qu’il y a dessus, où
l’on est placé, quels sont les critères d’attribution…”
s’agace Bernard Kuntz. Et beaucoup d’évoquer passe-droits et copinage
pour obtenir le précieux anneau. VNF, seigneur des anneaux, juge encore
une fois ces critiques injustes par la voix de Claude Denet : “Les gens
sont mécontents parce que d’un côté il y a pénurie de places, et de
l’autre une demande très forte. Cette tension créée des mécontents.
Et puis beaucoup ne comprennent pas notre fonctionnement car ils croient
que l’eau, c’est le dernier Eldorado possible. Or ce n’est plus le
cas”. Et le même d’annoncer des motifs de satisfaction à venir :
“En mai, nous allons instituer une commission consultative de
l’attribution des places, constituée de VNF, du port autonome de Paris,
de la Fédération des ADHF (Associations de défense de l’habitat
fluvial) et des associations représentatives localement. Et début juin,
nous allons publier la liste d’attente sur Internet.”
Attention quotidienne
“C’est comme une maison de campagne.” La phrase de Nathalie
Desbonnets résume bien les contraintes d’entretien et tracas quotidiens
à bord d’une péniche. L’humidité ? Une légende. Les Rats ? Idem.
L’obscurité ? Une verrière au plafond et c’est plutôt le trop-plein
de lumière qui pose problème. Pour le reste, c’est surtout la
conception de base du bateau qui détermine la quantité, la pénibilité
et le coût des tâches d’entretien à effectuer. D’où l’importance
de bien choisir au moment de l’achat. Un navire mal conçu connaîtra
des problèmes de condensation qui pourront faire pourrir le plancher. Un
bateau amarré sur un emplacement dépourvu d’eau et d’électricité
devra être équipé d’un groupe électrogène et de cuves de rétention
pour les eaux grises et noires.
“Un bateau demande beaucoup d’attention, prévient tout de même
Letizzia Macci. Lorsque l’on repère un point de rouille, il faut le
traiter tout de suite, sinon cela peut rapidement prendre des proportions
importantes.” Seule obligation réglementaire : mettre le navire en cale
sèche tous les dix ans. Sorte de contrôle technique relativement anodin
si tout va bien, plus gênant quand le bateau doit rester dans le chantier
plusieurs semaines le temps des réparations… Quant au rêve de larguer
les amarres le week-end, il est à oublier. Si obtenir le titre de
navigation du bateau ainsi que le permis fluvial n’est pas très
difficile, les embûches sont ailleurs. “Très peu d’habitants de
bateau-logements le font car il faut refaire les amarrages, démonter la
passerelle, remettre le moteur en état, prendre en compte la question de
la hauteur des ponts… Il y a bien 3 ou 4 jours de travaux avant de démarrer
!” sourit Jean-Paul Dumontier. Un long purgatoire, donc, avant le
paradis.
Par Olivier Faure
Dossier
: Témoignages & Reportages
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